dimanche 26 avril 2015

Elle semble stupide, illégitime, artificielle, et pourtant, nous en respectons tous les impératifs. Serions-nous lâches ou tout simplement polis? 

« C’est une fausse monnaie nécessaire », disait Kant au sujet de la politesse. Expression fondamentalement ambiguë : les termes « fausse monnaie » semblent vouloir désigner la politesse comme un ornement superflu, mais à la vanité de cette monnaie factice répond l’adjectif nécessaire –or qu’est-ce que la vanité sinon le contraire du superflu ? Nous voyons dès lors que Kant, par l’emploi de cette phrase tiraillée par deux pôles antinomiques, contient en quelques mots la dualité inhérente au concept de politesse.
Car certes, la politesse est un mensonge. Telle est la thèse d’Alceste : voyant que Philinte salue affectueusement quelqu’un dont il ignore tout jusqu’au nom, ce dernier plonge dans une colère paroxystique. Conception qui revendique une sincérité radicale, et s’indigne du fait que la politesse exprime une chaleur humaine qui n’est pas ressentie. La politesse est l’incarnation même de la médiocrité du theatrum mundi –et de la vanité des mondains. La politesse, c’est la bassesse de l’apollinien, l’artifice d’un surmoi conventionnel, et la lâcheté qui nous empêche d’être francs. D’où la « fausse monnaie » évoquée par Kant, qui explore par ce terme la politesse sous le prisme d’une sincérité propre à Alceste.
Mais, comme le demandait Eric Fiat, faut-il voir en la politesse l’apparence du respect ou le respect de l’apparence ? Si la politesse s’apparente au second cas, nous voyons qu’elle semble être intimement liée à la notion d’apparence, dephainoumai, de paraître –notion qui participe indubitablement de la nécessité humaine. Certes, Rousseau critiqua la politesse, en expliquant que le « bon sauvage » -homme préservé dans une solitude naturelle et originelle- en était dépourvu, mais si la politesse est superflue aux yeux d’un solitaire, ne devient-elle pas nécessaire dans une communauté humaine ? En effet, tandis que le solitaire ne vit son rapport au monde qu’à travers le percipere berkeleyen –il perçoit sans être perçu, puisque nulle autre conscience n’habite le monde-, l’homme social est à la fois sujet et objet, étant marqué par le percipere aussi bien que le percipi. Car, aux yeux des autres hommes, le sujet devient objet, et, comme tout objet, il s’offre à la conscience des autres en tant que phénomène, c’est-à-dire à travers l’écorce d’un paraître –ce paraître de l’homme constitua l’objet d’étude de la phénoménologie lévinassienne de l’altérité. Aussi est-il légitime que l’homme adopte un code conventionnel lui permettant d’adopter apparence socialement correcte, en cela que l’homme social constitue un phainoumai. Voilà donc le paraître désigné comme nécessaire à la condition de l’homme social. De fait, l’intersubjectivité se présente comme un primat de l’apparence, et donc de la politesse.
Factice bien que naturelle, odieuse sous son beau-paraître, artificielle, théâtrale, hypocrite, factice, et en même temps spirituelle, la politesse semble voir cristalliser les tensions propres à la complexité du jeu social. Est-ce pour cela qu’elle constitue ce masque dont ne nous ne pouvons-nous passer ?

Je vous prie d’agréer, chers lecteurs, à l’expression de mes plus chaleureuses salutations.
Bien à vous, merci mille fois, et à bientôt, je l’espère.

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